mardi 19 mai 2009

Protection sociale


La Sécurité sociale, un enjeu majeur
Par Michel Étiévent, écrivain (*).

« L’organisation de la Sécurité sociale repose sur une règle fondamentale qui est celle de la gestion des caisses par les intéressés eux-mêmes. Le plan français est inspiré par le souci de confier à la masse des travailleurs la direction de leur propre institution de manière que la Sécurité sociale soit le fait non d’une tutelle paternaliste ou étatiste mais de l’effort conscient des bénéficiaires eux-mêmes. »
C’est par ces mots que le 8 août 1946, à l’Assemblée nationale, Ambroise Croizat, ministre du Travail, rappelait la nécessité (soulignée dans le programme du CNR) d’une gestion démocratique de la Sécurité sociale. Il appuyait son discours par ces propos tenus à Saint-Denis devant 20 000 militants : « La Sécurité sociale n’est pas seulement une affaire de lois ou de décrets. Elle implique une action concrète à la base dans l’entreprise, la cité ; elle réclame vos mains. Jamais nous ne garantirons le droit à la santé pour tous si vous ne prenez pas en main vous-mêmes le devenir de cet organisme de solidarité… »
Dès novembre 1945, la gestion des caisses a été un enjeu politique majeur. Toutes les forces conservatrices de l’époque, du patronat à la droite, refusent une gestion démocratique par les assurés. L’opposition est violente sur les bancs de l’Assemblée mais aussi de la part des assurances privées, de certains mutualistes ou des syndicats minoritaires, à l’image de la CFTC qui refuse de siéger dans les nouvelles instances. Rejetant les principes d’unicité et d’universalité de la Sécurité sociale, prônant le retour aux caisses d’affinité, droite et patronat menacent l’application du système de protection sociale.
Il faudra tout l’appui d’un Parti communiste à 29 % des voix, le poids d’une CGT forte de cinq millions d’adhérents et la force de conviction d’hommes tels que Croizat, Buisson, Raynaud pour faire respecter les orientations définies par le CNR. Alors que les caisses sont, au départ, gérées par des conseils désignés par les organisations syndicales, Ambroise Croizat pose très vite le principe des élections. Le 15 septembre, il déclare à l’Assemblée : « Je propose, comme l’opinion le réclame, un système d’élections des administrateurs par les intéressés et il importe qu’elles aient lieu dans les délais les plus courts. » Le 10 octobre, il fait voter la loi instaurant ces consultations générales pour la Sécu et les allocations familiales. La date est fixée au 24 avril 1947. Jusqu’au dernier jour, les pressions se multiplient pour faire échouer le dispositif électoral. La presse patronale et l’Aube, journal du MRP, se déchaînent : « Jamais, déclarent-ils, nous ne laisserons les communistes mettre leur emprise sur les 200 milliards de la Sécu… » Malgré les blocages de toutes sortes, les basses manœuvres, les coalitions multiples entre patronat et syndicats minoritaires, la CGT l’emporte avec 59 % des voix. On restera pourtant très loin des ambitions de Croizat et du CNR.
Dans un contexte difficile, après l’éviction des ministres communistes du gouvernement en mai 1947, le patronat, par le jeu des coalitions, va peser fortement sur les conseils d’administration. Très souvent, là où la CGT préside, c’est l’administration centrale du ministère du Travail qui mène une politique de harcèlement et annule les décisions prises par les conseils. La scission de 1948 aggrave encore la situation et le jeu des alliances permet l’élimination de syndicalistes CGT aux postes de responsabilité. Eugène Hennaf est éliminé de la caisse régionale de Paris, Alfred Costes de la caisse primaire parisienne, Henri Raynaud de la Fédération des organismes de Sécurité sociale (FNOSS). Dans la VO, sous la plume d’Henri Raynaud, le 8 juin 1950, on pouvait lire : « Il faut se battre pour une véritable gestion démocratique telle que l’a voulue le peuple de France. Quand les assurés sociaux ont participé avec enthousiasme aux élections, ils ont cru que leurs élus allaient diriger les caisses ; il n’en est rien car, dans les caisses, il y a des représentants patronaux. Ils sont là pour torpiller la gestion ouvrière et ils l’ont fait avec habileté et hypocrisie. »
En août 1967, le gouvernement de Gaulle, en plein congés, édictera l’ordonnance qui supprimera les élections et instituera la parité des sièges avec le patronat…

(*) Auteur de l’ouvrage Marcel Paul, Ambroise Croizat, chemins croisés d’innovation sociale, 25 euros + 5 euros de port disponible 520, avenue des Thermes, 73600 Salins-les-Thermes.
Humanité du 17 avril 2009

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