mercredi 28 juin 2017

La démocratie euthanasiée.


Lu dans l'Humanité du mardi 27 juin 2017.

La démocratie euthanasiée.

Par Guillaume Foutrier, doctorant et professeur d'histoire-géographie.

 « Vague Macron » pour La Croix, « Macron en marche » pour le Figaro « l'effet Macron » pour les Échos… les quotidiens ont rivalisé de titres ronflants pour qualifier les résultats du premier tour des législatives, mais aucun, hormis l'humanité, n'a fait sa une sur l'événement bien plus considérable dans notre histoire politique : le taux d'abstention de 51,29 % n'est pas seulement le plus élevé de la Ve République ; il bat en réalité-et de très loin tous les records d'abstention aux élections législatives depuis l'instauration du suffrage universel en 1848 !
Un tel chiffre n'est pas seulement l'énième illustration du malaise politique des dernières décennies. Il ne s'agit pas ici d'élections locales ou européennes, dont les taux de participation sont traditionnellement faibles, mais de ce qui fait le cœur des régimes démocratiques apparus au XIXe siècle : l'élection du Parlement, par laquelle le peuple souverain élit ses représentants pour voter les lois. On ne manquera pas, dans les prochains jours, de développer le niveau d'abstention et de gloser sur la « crise » de notre démocratie. Pourtant, ce qui se dessine aujourd'hui, ce n'est pas simplement une « crise », telle que la France en a connu à la fin du XIXe siècle et dans les années 1930 ; c'est plus profondément une lente euthanasie de la démocratie et l'épuisement d'un cycle politique ouvert il y a près de 50 ans. Le Parlement, certes inchangé dans sa forme, n'est plus l'objet d'un investissement collectif, celui des citoyens qui sont censés lui donnés sa légitimité : ainsi meurent les institutions. Ce sont alors la démocratie parlementaire et, avec elle, la souveraineté du peuple qui disparaissent insidieusement sous nos yeux.
Beaucoup j'ai Miron, comme d'habitude, sur l'apathie des Français et leur manque de « sens civique ». Mais les abstentionnistes montrent en faite bien plus de raison qu'on n'en dit : pourquoi en effet aller voter pour élire un parlement dont on a compris désormais, sans le moindre doute possible, qu'il n'était qu'une caisse d'enregistrement des décisions du pouvoir exécutif, des cabinets ministériels et des directeurs d'administration ? Les Français ne font que tirer intuitivement les leçons d'un régime présidentialisé. Ils comprennent aussi que cette élection sans enjeu ne changera rien à leurs conditions de vie. Il est évident, au regard de la géographie des votes (des taux d'abstention de 60 à 70 % dans les quartiers populaires), que ce retrait du peuple de la politique est d'abord un retrait des couches populaires. Chemin faisant, sans bruit et sans coup férir, notre régime électoral et donc aussi devenu censitaire.
En transformant les législatives en une pâle validation du résultat des élections présidentielles, la réforme du quinquennat (en 2000) et l'inversion du calendrier électoral (en 2001) ont contribué directement à cette explosion du taux d'abstention et amplifier les logiques présidentielles liste de la Ve République : l'abaissement du pouvoir législatif et la boursouflure toujours plus monstrueuse du pouvoir exécutif.
Le scandale des assistants parlementaires, qui nourrit aujourd'hui les envolées présidentielles sur la « moralisation de la vie politique », au culte l'autre vrai problème : les moyens du Parlement sont faibles au regard de ce dont bénéficient les ministères, sur l'immense force de travail et d'expertise des administrations centrales. Aussi le souhait du nouveau président et de réduire d'un tiers le nombre des parlementaires devrait-t-il accentuer, sous l'argument fallacieux de la « modernisation politique », l'effacement complet de la démocratie parlementaire au profit d'une « démocratie exécutive » (1) qui n'a cessé de se renforcer depuis les guerres du XXe siècle et la constitution de 1958.
Plus que jamais, le suffrage universel tend à devenir un alibi et notre Parlement une institution croupion, le résidu d'un régime qui n'a de démocratique que le nom et n'a comme réalité que la loi de l'argent, le triomphe des riches et l'expertise des technocrates. Faut-il que 60 ans de présidentialisme est à ce point intoxiqué les esprits et perverti la culture démocratique pour qu'un tel crime politique ne soit pas dénoncé sans relâche ?




(1) Nicolas Roussellier, la force de gouverner. Le pouvoir exécutif en France, XIXe-XXIe siècle. Gallimard 2015


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