vendredi 19 avril 2019

Jamais Quasimodo ne mourra


MA ChRONique de l’extrême centre. par Pierre Serna

L’Humanité du Vendredi, 19 Avril, 2019


Jamais Quasimodo ne mourra

Message de ma fille attristée. « Quasimodo va mourir dans les flammes », en souvenir des lectures interminables de Notre-Dame, chaque soir, durant de longs mois. « Non, Lou, ce que les hommes ont construit, aucun dieu, même celui du feu, si tant est que le ciel ne soit pas vide, ne peut le détruire. » Vulcain, maître de l’incendie en personne, ne peut rien contre le labeur des humains. Ce n’est pas une église qui a brûlé. Ce sont des millions d’heures de travail, d’innombrables journées de sueur, de sang, de larmes, des centaines d’accidents du travail, des dizaines de morts sur le chantier qui dura plusieurs dizaines d’années, voire des centaines avec les restaurations, qui sont partis en fumée. Mais la vie est plus forte. Pitié. Que l’on nous épargne la résilience conservatrice et rance d’une reconstruction à l’identique. Que l’on donne leur chance à de jeunes artisans, à de jeunes architectes, à de jeunes ingénieur-e-s d’inventer et d’imaginer, avec des moyens réduits mais suffisants, une cathédrale pour le XXIe siècle, une cathédrale de verre, de lumière, à l’image de l’opération de transparence que doit opérer l’église pour se réconcilier avec le monde terrestre, et non la reproduction stérile d’un monument sombre du Moyen Âge. Et qu’avec l’argent que les milliardaires mettent sur la table, pour montrer qui sera le plus généreux, on aide Mayotte, parmi tant d’autres endroits au monde qui en ont tant besoin, Mayotte d’où est revenu le ministre de l’Intérieur en catastrophe, interrompant sa visite pour se montrer à Paris. Où le sans-culotte palestinien, comme on appelait Jésus en 1793, aurait-il voulu que cet argent soit dépensé ? Pour les pauvres ou pour rebâtir une machine à faire fantasmer les touristes du monde entier ? Pour les marchands du temple ou pour tous les SDF et précaires du monde entier ? Pour un projet inventif d’une nouvelle bâtisse peut-être, pour les personnes qui ont besoin de croire. Sûrement aussi pour la cathédrale vivante qu’est chaque migrant, chaque migrante balancée en Méditerranée, pour toutes les Esmeralda d’Afrique qui ne danseront jamais sur le parvis, avalées par la Grande Bleue. Non, Lou, les photos que nous avons du travail de Viollet-le-Duc, la cathédrale de papier qu’a édifiée Victor Hugo, les pierres montées une à une par des milliers de travailleurs anonymes et qui ont résisté aux flammes sont immortelles. Endors-toi tranquille, Lou, l’homme du peuple, l’affreux, le sale, et tellement bon et bien-aimé Quasimodo ne sera jamais acheté, ne sera jamais vendu et ne mourra jamais 


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