La
peine de mort est un crime d'Etat
Chaque fois qu'un
crime de viol avec assassinat survient dans notre pays les apologistes de la
peine de mort, exploitant le drame donc personne ne peut rester insensible,
sortent leurs pancartes. La peine de mort est un crime d'État, et on ne punit
pas le crime par le crime.
D'autant que la peine
de mort n'est pas dissuasive et elle est irréversible en cas d'erreur comme
pour l'affaire du Pull-over rouge ou un humain est mort pour rien et ça a fait
un mort de plus.
Parmi nos illustres
anciens Robespierre, que l'on présente comme un sanguinaire (de moins en moins avec les progrès de la
recherche historique), comme Condorcet à la même époque soutint dans cet
esprit l'abolition de la peine de mort qui lui paraissait avant tout injuste et
inutile, dangereuse pour les citoyens. Néanmoins, malgré l'approbation des
comités de constitution et de jurisprudence criminelle et le soutien explicite
de Duport et de Pétion, la proposition de Robespierre fut rejetée et la peine
de mort maintenue comme nécessaire à l'ordre social et à l'autorité publique.
Toute la droite de la constituante fit bloc autour du refus.
Robespierre le 30 mai
1791.
« Gardez-vous bien de confondre l'efficacité
des peines avec l'excès de la sévérité ; l'une est absolument opposée à l'autre.
Tout seconde les lois justes et modérées ; tous conspirent contre les lois
cruelles. L'indignation qu'excite le crime est balancée par la commisération
qu'inspire l'extrême rigueur des châtiments. La voix irrésistible de la nature
s'élève contre la loi, en faveur du coupable. Chacun s'empresserait de livrer
un coupable, si la peine était douce, mais il s'en la nature frémir au-delà de
lui à la seule idée d'envoyer à la mort. Oui, je ne crains pas de le dire,
cette loi que vous avez imposée à tous les citoyens de dénoncer les coupables
ne sera qu'une loi inique, absurde et impraticable, si vous conservez la peine
de mort. Cette première disposition prouve la nécessité de combiner l'ensemble
des lois ; elle prouve qu'une loi isolée peut devenir absurde par ses rapports
avec les autres lois.
La force des lois dépend de l'amour et du
respect qu'elles inspirent ; et cet amour, ce respect dépendent du sentiment
intime qu'elles sont justes et raisonnables. Ouvrir histoire de tous les
peuples : vous verrez que la douceur des lois pénales y est toujours en raison
de la liberté, de la sagesse, de la douceur du gouvernement. Vous voyez cette
gradation suivie dans l'histoire des peuples. J'en ai cité mes exemples ; je
vous rappelle à celui, non pas, de la Toscane, mais à celui qu'un empire qui
avait toujours été soumis au despotisme, à la Russie. Il faut donc croire que
le bonheur de la société n'est pas attaché à la peine de mort, puisqu'une
grande société qui n'a. Les mœurs d'un peuple libre continue d'exister quoi que
la peine de mort y ait été abolie. Il faut croire que le peuple doux, sensible,
généreux qui habite la France, et dont toutes les vertus vont être développées
par le régime de la liberté traitera avec humanité les coupables, et convenir
que l'expérience, la sagesse vous permettent de consacrer les principes sur
lesquels s'appuie la motion que je fais que la peine de mort soit abolie ».(1)
Robespierre réclame
l'abolition de la peine de mort en ces termes : « écoutez la voix de la justice et de la raison ; elle vous crie que les
jugements humains ne sont jamais assez certains pour que la société puisse
donner la mort à un homme condamné par d'autres hommes sujets à l'erreur ».
Il continuera par la suite à combattre sans relâche les propositions
successives d'extension des possibilités de recours à la peine de mort.(2).
Plus tard nôtre
Victor Hugo national plaida également l'abolition. « Selon les criminalistes, la peine de mort à deux efficacités, l'une
directe, l'autre indirecte, le coût qu'elle frappe sur l'individu par le
retranchement, le coût qu'elle frappe sur la société par l'exemple.
Voyons d'abord ce que c'est que l'exemple.
L'exemple, le bon exemple donné par la peine de
mort, nous le connaissons. Il a eu plusieurs noms. Chacun de ces noms exprime
tout un ordre de faits et d'idées. L'exemple s'est appelé Montfaucon, il s'est
appelé la place de grève, il s'appelle aujourd'hui la barrière Saint-Jacques.
Examiner les trois termes de cette progression décroissante : Montfaucon,
l'exemple terrible et permanent ; la place de grève, l'exemple qui est encore
terrible, mais qui n'est plus permanent ; la barrière Saint-Jacques, l'exemple
qui n'est plus ni permanent ni terrible, l'exemple inquiet, honteux, timide,
effrayé de lui-même, l'exemple qui s'amoindrit, qui se dérobe, qui se cache. Le
voilà à la porte de Paris, prenez garde, si vous ne le retenez pas, il va s'en
aller ! Il va disparaître !
Qu'est-ce à dire ? Voilà qui est singulier !
L'exemple qui se cache, l'exemple qui fait tout ce qu'il peut pour ne pas être
l'exemple. Nous n'en rions pas. La contradiction n'est étrange qu'en apparence
; au fond il y a en ceci quelque chose de grand et de touchant. C'est la sainte
pudeur de la société qui détourne la tête devant un crime que la loi lui fait
commettre. Ceci prouve que la société a conscience de ce qu'elle fait est que
la loi ne l'a pas.
Voyez, examinez, réfléchissez. Vous tenez à
l'exemple. Pourquoi ? Pour ce qu'il enseigne. Que voulez-vous enseigner avec
votre exemple ? Qu'il ne faut pas tuer. Et comment enseignez-vous qu'il ne faut
pas tuer ? En tuant.
En France, l'exemple se cache à demi. En
Amérique, il se cache tout à fait. Ces jours-ci on a pu lire dans les journaux américains
l'exécution d'un nommé Hall. L'exécution a eu lieu non sur une apparence de
place publique, comme à Paris, mais à l'intérieur de la prison. « Dans la geôle
». Y avait-il des spectateurs ? Oui, sans doute. Que deviendrait l'exemple s'il
n'y avait pas de spectateurs ? Quel spectateur donc ? D'abord la famille. La
famille de qui ? Du condamné ? Non, de la victime. C'est pour la famille de la
victime que l'exemple s'est fait. L'exemple a dit au père, à la mère, au mari
(c'est une femme qui avait été assassinée) au frère de la victime : cela vous
apprendra ! À ! J'oublie, il y avait encore d'autres spectateurs une vingtaine
de gentlemen qui avaient obtenu des entrées de faveur moyennant une guinée par
personne. La peine de mort en est là. Elle donne des spectacles à huis clos à
des privilégiés, des spectacles où elle se fait payer, et elle appelle ça des
exemples !
De deux choses l'une : ou l'exemple donné par
la peine de mort est moral, où il est immoral. S'il est moral, pourquoi le cachez-vous
? S'il est immoral, pourquoi le faites-vous ?
Pour que l'exemple soit l'exemple, il faut
qu'ils soient grands ; s'il est petit, il ne fait pas frémir, il fait vomir.
D'efficace il devient inutile, d'effrayant, misérable. Il ressemble à une
lâcheté. Il en est une. La peine de mort furtive secrète n'est plus que le
guet-apens de la société sur l'individu.
Soyez donc conséquents. Pour que l'exemple soit
l'exemple, il ne suffit pas qu'il se fasse, il faut qu'il soit efficace. Pour
qu'il soit efficace, il faut qu'il soit terrible ; revenez à la place de grève
! Il ne suffit pas qu'il soit terrible, il faut qu'il soit permanent ; revenez
à Montfaucon ! Je vous en défis.
Je vous en défis ! Pourquoi ? Parce que vous en
frissonnez vous même, parce que vous sentez bien que chaque pas en arrière dans
cette voie affreuse est un pas vers la barbarie ; parce que, ce qu'il faut aux
grandes générations du XIXe siècle, ce n'est point départ en arrière, ce n'est
pas en avant ! Parce qu'aucun de nous, aucun de vous ne veut retourner vers
l'héroïne hideuse et difforme du passé, et que nous voulons tous marcher, du
même pas est du même cœur, vers le rayonnant édifice de l'avenir !
Rejetons donc la théorie de l'exemple. Vous y
renoncez vous-même, vous voyez bien.
Reste l'efficacité directe de la peine de mort
; le service rendu à la société par le retranchement du coupable ; la mesure de
sûreté. La peine de mort est la plus sur des prisons. Ah ! Ici, vous frissonnez
encore, malgré vous-mêmes. Quoi, le tombeau utilisé comme maison de justice !
La mort devient un employé de l'État ! La mort devient un fonctionnaire auquel
on donne à garder les hommes dangereux ! Voici un homme qui a fait le mal et
qui peut le faire encore, vous pourriez essayer de guérir cette âme et d'en
déraciner le crime ; mais non, vous n'allez pas si loin, bah ! Améliorer un
homme, le corriger, l'assainir, le sauver physiquement et moralement, théories
! Visions ! Rêveries de poètes ! Vous dites : il faut enfermer cet homme, la
meilleure manière de l'enfermer c'est de le tuer, et vous le tuez !
Monstrueux.
À législation barbare, raisonnement sauvage.
Criminalistes, débattez-vous sous vos propres énormités.
J'ai examiné la peine de mort par ses deux
côtés, action directe, action indirecte. Qu'en reste-t-il ? Rien. Rien qu'une
chose horrible et inutile, rien qu'une voie de fait sanglante qui s'appelle
crime quand c'est l'individu qui l'accomplit, et qui s'appelle justice (ô
douleurs !) Quand c'est la société qui la commet. Sachez ceci, qui que vous
soyez, législateurs ou juges, aux yeux de Dieu, aux yeux de la conscience, ce
qui est le crime pour l'individu et le crime pour la société.
Encore une réflexion, remarquez l'attitude des
criminalistes devant cette question de la peine de mort. Ceci vous dira le fond
de leur pensée ; ceci vous dira où en est la pénalité capitale dans le for
intérieur de ceux qui la défendent. Voyez d'abord les vieux, les gothiques, les
féodaux. Le supplice leur plaît et les fait rayonner. Farinace salue l'échafaud
comme le prêtre salue l'autel : c'est en effet son hôtel à lui. Des
criminalistes anciens sont fiers de la peine de mort ; les criminalistes
modernes en sont honteux, et n'en parlent qu'en s'essuyant le front.
C'est qu'en vérité, ces derniers sont de notre
avis ; c'est que le rayon de l'équité naturelle, quand il traverse tout un
siècle, n'épargne aucune âme et les pénètre toutes. Dieu le veut. Au fond ces
hommes pensent comme nous de l'échafaud, il est dès aujourd'hui abattu dans
leur conscience ; demain il ne sera dans la place publique.
Ils nous disent seulement : - attendez un peu !
Attendre ? Pourquoi attendre ? On coupe des
têtes pendant ce temps-là.
Lorsque l'Assemblée nationale faisait la
constitution, la question s'est présentée. Je lui ai crié : c'est l'heure, hâtez-vous
! Faites de grands pas ! Faites de grandes choses ! Il y a de certains moments
où il faut donner des coups de colliers en civilisations, précipiter le progrès,
entraîner le genre humain ! Ceci est une occasion, remerciez Dieu, et
profitez-en ! Une constitution nouvelle, en France, au XIXe siècle, doit jeter
autour d'elle, au moment où elle apparaît, une clarté subite ! Elle doit être
l'adoption des classes souffrantes et malheureuses ! Elle doit saisir
l'intelligence des nations par la consécration éclatante du bien, du juste et
du vrai. La civilisation se compose de ses acceptions successives et
solennelles de la vérité. Et bien ! Consacré aujourd'hui, tout de suite, sans
plus attendre, ce grand fait : l'inviolabilité de la vie humaine ! Abolissez la
peine de mort.
L'assemblée a écouté,
mais n'a pas entendu.
Savez-vous ce qui est triste ? C'est que c'est
sur le peuple que pèse la peine de mort. Vous y avez été obligés, dites-vous.
Il y avait dans un plateau de la balance ignorance et la misère, il fallait
faire contrepoids dans l'autre plateau, vous y avez mis la peine de mort. Et
bien ! Ôtez la peine de mort, vous voilà forcés, forcés, entendez-vous ? Dotez
aussi l'ignorance et la misère. Vous êtes condamnés à toutes ces améliorations
à la fois. Vous parlez souvent de nécessité, je mets la nécessité du côté du
progrès, en vous contraignant d'y recourir, par un peu de danger aux besoins.
Ah ! Vous n'avez plus la peine de mort pour
vous protéger. Ah ! Vous avez la devant vous, face à face, l'ignorance et la
misère, ces pourvoyeuses de l'échafaud, et vous n'avez plus l'échafaud !
Qu'allez-vous faire ? Pardieu combattre ! Détruire l'ignorance, détruire la
misère ! C'est ce que je veux.
Oui je veux vous précipiter dans le progrès !
Je veux brûler vos vaisseaux pour que vous ne puissiez revenir lâchement en
arrière ! Législateurs, économistes, publicistes, criminalistes, je veux vous
pousser par les épaules dans les nouveautés fécondées humaines comme on jette
brusquement à l'eau l'enfant auquel on veut apprendre à nager. Et vous voilà en
pleine humanité, j'en suis fâché, nagez, tirez-vous de là !
Tenez, tant que nous sommes, renonçons à la
terreur. Depuis 6000 ans les sociétés humaines vivent sur la haine, c'est assez
! Essayons l'amour ! ». (3)
Il aura fallu
attendre le 17 septembre 1981 et le discours de Robert Badinter :
« Demain vous voterez l'abolition de la peine
de mort »
où il revient sur
l'exemplarité :
« Ce sont les autres, ceux que j'évoquais précédemment qui peuplent ces
annales. En fait, ceux qui croient à la valeur dissuasive de la peine de mort
méconnaissent la vérité humaine. La passion criminelle n'est pas plus arrêtée
par la peur de la mort que d'autres passions ne le sont qui, celles-là, sont
nobles. Et si la peur de la mort arrêtait les hommes, vous n'auriez ni grands
soldats, ni grands sportifs. Nous les admirons, mais ils n'hésitent pas devant
la mort. D'autres, emportés par d'autres passions, n'hésitent pas non plus.
C'est seulement pour la peine de mort qu'on invente l'idée que la peur de la
mort retient l'homme dans ses passions extrêmes. Ce n'est pas exact. Et,
puisqu'on vient de prononcer le nom de deux condamnés à mort qui ont été
exécutés, je vous dirai pourquoi, plus qu'aucun autre, je puis affirmer qu'il
n'y a pas dans la peine de mort de valeur dissuasive : sachez bien que, dans la
foule qui, autour du palais de justice de Troyes, criait au passage de Buffet
et de Bontems : "A mort Buffet ! A mort Bontems !" se trouvait un
jeune homme qui s'appelait Patrick Henry. Croyez-moi, à ma stupéfaction, quand
je l'ai appris, j'ai compris ce que pouvait signifier, ce jour-là, la valeur
dissuasive de la peine de mort ! » (Applaudissements sur les bancs des
socialistes et des communistes.)
Il faudrait lire l'intégralité du
discours.
L'exemple de
l'amiante véritable crime industriel qui a fait 100 000 morts alors qu'on
connaissait le danger depuis 1906 ! Doit-on tuer tous ceux qui ont laissé faire
?
Combien de chefs d'État
devraient subir ce châtiment pour avoir fait tuer inutilement, des jeunes dans
des guerres coloniales. En Algérie 30 000 jeunes français tués, 600 000 à un
million d'Algériens. Et puis tous les viols commis par l'armée française et
restés impunis. Et je peux en témoigner. Ça en ferait des peines de mort ! Un
dernier mot tous ceux qui sont pour la peine de mort devraient être mis en
situation, il comprendraient ce que veut dire tuer quelqu'un. Là aussi je peux
en témoigner. C'était justement pendant la guerre d'Algérie. J'avais deux êtres
humains supposés être des "fellagas" dans la lunette de mon fusil et
je n'ai pas tiré. Et aujourd'hui j'en suis fier.
Michel Cialdella
1)
Robespierre. Écrits. Présenté par Claude Mazauric. Éditions sociales. 1989.
2)
Robespierre, reviens ! Alexis Corbière, et Laurent Maffaïs. Préface de Claude
Mazauric- Éditions Bruno Leprince 2012.
3)
discours sur la peine de mort. Septembre 1848. Victor Hugo le droit et la loi
et autre textes citoyens. Éditions 10/18. Février 2002.
4)
« Demain vous voterez l'abolition de la peine de mort » discours de Robert
Badinter à l'assemblée le 17 septembre 1981.
http://www.weblettres.net/blogs/uploads/r/Rispal/10508.pdf
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