mercredi 9 mai 2018

La peine de mort est un crime d'Etat



La peine de mort est un crime d'Etat

Chaque fois qu'un crime de viol avec assassinat survient dans notre pays les apologistes de la peine de mort, exploitant le drame donc personne ne peut rester insensible, sortent leurs pancartes. La peine de mort est un crime d'État, et on ne punit pas le crime par le crime.
D'autant que la peine de mort n'est pas dissuasive et elle est irréversible en cas d'erreur comme pour l'affaire du Pull-over rouge ou un humain est mort pour rien et ça a fait un mort de plus.
Parmi nos illustres anciens Robespierre, que l'on présente comme un sanguinaire (de moins en moins avec les progrès de la recherche historique), comme Condorcet à la même époque soutint dans cet esprit l'abolition de la peine de mort qui lui paraissait avant tout injuste et inutile, dangereuse pour les citoyens. Néanmoins, malgré l'approbation des comités de constitution et de jurisprudence criminelle et le soutien explicite de Duport et de Pétion, la proposition de Robespierre fut rejetée et la peine de mort maintenue comme nécessaire à l'ordre social et à l'autorité publique. Toute la droite de la constituante fit bloc autour du refus.
Robespierre le 30 mai 1791.
« Gardez-vous bien de confondre l'efficacité des peines avec l'excès de la sévérité ; l'une est absolument opposée à l'autre. Tout seconde les lois justes et modérées ; tous conspirent contre les lois cruelles. L'indignation qu'excite le crime est balancée par la commisération qu'inspire l'extrême rigueur des châtiments. La voix irrésistible de la nature s'élève contre la loi, en faveur du coupable. Chacun s'empresserait de livrer un coupable, si la peine était douce, mais il s'en la nature frémir au-delà de lui à la seule idée d'envoyer à la mort. Oui, je ne crains pas de le dire, cette loi que vous avez imposée à tous les citoyens de dénoncer les coupables ne sera qu'une loi inique, absurde et impraticable, si vous conservez la peine de mort. Cette première disposition prouve la nécessité de combiner l'ensemble des lois ; elle prouve qu'une loi isolée peut devenir absurde par ses rapports avec les autres lois.
La force des lois dépend de l'amour et du respect qu'elles inspirent ; et cet amour, ce respect dépendent du sentiment intime qu'elles sont justes et raisonnables. Ouvrir histoire de tous les peuples : vous verrez que la douceur des lois pénales y est toujours en raison de la liberté, de la sagesse, de la douceur du gouvernement. Vous voyez cette gradation suivie dans l'histoire des peuples. J'en ai cité mes exemples ; je vous rappelle à celui, non pas, de la Toscane, mais à celui qu'un empire qui avait toujours été soumis au despotisme, à la Russie. Il faut donc croire que le bonheur de la société n'est pas attaché à la peine de mort, puisqu'une grande société qui n'a. Les mœurs d'un peuple libre continue d'exister quoi que la peine de mort y ait été abolie. Il faut croire que le peuple doux, sensible, généreux qui habite la France, et dont toutes les vertus vont être développées par le régime de la liberté traitera avec humanité les coupables, et convenir que l'expérience, la sagesse vous permettent de consacrer les principes sur lesquels s'appuie la motion que je fais que la peine de mort soit abolie ».(1)
Robespierre réclame l'abolition de la peine de mort en ces termes : « écoutez la voix de la justice et de la raison ; elle vous crie que les jugements humains ne sont jamais assez certains pour que la société puisse donner la mort à un homme condamné par d'autres hommes sujets à l'erreur ». Il continuera par la suite à combattre sans relâche les propositions successives d'extension des possibilités de recours à la peine de mort.(2).
Plus tard nôtre Victor Hugo national plaida également l'abolition. « Selon les criminalistes, la peine de mort à deux efficacités, l'une directe, l'autre indirecte, le coût qu'elle frappe sur l'individu par le retranchement, le coût qu'elle frappe sur la société par l'exemple.
Voyons d'abord ce que c'est que l'exemple.
L'exemple, le bon exemple donné par la peine de mort, nous le connaissons. Il a eu plusieurs noms. Chacun de ces noms exprime tout un ordre de faits et d'idées. L'exemple s'est appelé Montfaucon, il s'est appelé la place de grève, il s'appelle aujourd'hui la barrière Saint-Jacques. Examiner les trois termes de cette progression décroissante : Montfaucon, l'exemple terrible et permanent ; la place de grève, l'exemple qui est encore terrible, mais qui n'est plus permanent ; la barrière Saint-Jacques, l'exemple qui n'est plus ni permanent ni terrible, l'exemple inquiet, honteux, timide, effrayé de lui-même, l'exemple qui s'amoindrit, qui se dérobe, qui se cache. Le voilà à la porte de Paris, prenez garde, si vous ne le retenez pas, il va s'en aller ! Il va disparaître !
Qu'est-ce à dire ? Voilà qui est singulier ! L'exemple qui se cache, l'exemple qui fait tout ce qu'il peut pour ne pas être l'exemple. Nous n'en rions pas. La contradiction n'est étrange qu'en apparence ; au fond il y a en ceci quelque chose de grand et de touchant. C'est la sainte pudeur de la société qui détourne la tête devant un crime que la loi lui fait commettre. Ceci prouve que la société a conscience de ce qu'elle fait est que la loi ne l'a pas.
Voyez, examinez, réfléchissez. Vous tenez à l'exemple. Pourquoi ? Pour ce qu'il enseigne. Que voulez-vous enseigner avec votre exemple ? Qu'il ne faut pas tuer. Et comment enseignez-vous qu'il ne faut pas tuer ? En tuant.
En France, l'exemple se cache à demi. En Amérique, il se cache tout à fait. Ces jours-ci on a pu lire dans les journaux américains l'exécution d'un nommé Hall. L'exécution a eu lieu non sur une apparence de place publique, comme à Paris, mais à l'intérieur de la prison. « Dans la geôle ». Y avait-il des spectateurs ? Oui, sans doute. Que deviendrait l'exemple s'il n'y avait pas de spectateurs ? Quel spectateur donc ? D'abord la famille. La famille de qui ? Du condamné ? Non, de la victime. C'est pour la famille de la victime que l'exemple s'est fait. L'exemple a dit au père, à la mère, au mari (c'est une femme qui avait été assassinée) au frère de la victime : cela vous apprendra ! À ! J'oublie, il y avait encore d'autres spectateurs une vingtaine de gentlemen qui avaient obtenu des entrées de faveur moyennant une guinée par personne. La peine de mort en est là. Elle donne des spectacles à huis clos à des privilégiés, des spectacles où elle se fait payer, et elle appelle ça des exemples !
De deux choses l'une : ou l'exemple donné par la peine de mort est moral, où il est immoral. S'il est moral, pourquoi le cachez-vous ? S'il est immoral, pourquoi le faites-vous ?
Pour que l'exemple soit l'exemple, il faut qu'ils soient grands ; s'il est petit, il ne fait pas frémir, il fait vomir. D'efficace il devient inutile, d'effrayant, misérable. Il ressemble à une lâcheté. Il en est une. La peine de mort furtive secrète n'est plus que le guet-apens de la société sur l'individu.
Soyez donc conséquents. Pour que l'exemple soit l'exemple, il ne suffit pas qu'il se fasse, il faut qu'il soit efficace. Pour qu'il soit efficace, il faut qu'il soit terrible ; revenez à la place de grève ! Il ne suffit pas qu'il soit terrible, il faut qu'il soit permanent ; revenez à Montfaucon ! Je vous en défis.
Je vous en défis ! Pourquoi ? Parce que vous en frissonnez vous même, parce que vous sentez bien que chaque pas en arrière dans cette voie affreuse est un pas vers la barbarie ; parce que, ce qu'il faut aux grandes générations du XIXe siècle, ce n'est point départ en arrière, ce n'est pas en avant ! Parce qu'aucun de nous, aucun de vous ne veut retourner vers l'héroïne hideuse et difforme du passé, et que nous voulons tous marcher, du même pas est du même cœur, vers le rayonnant édifice de l'avenir !
Rejetons donc la théorie de l'exemple. Vous y renoncez vous-même, vous voyez bien.
Reste l'efficacité directe de la peine de mort ; le service rendu à la société par le retranchement du coupable ; la mesure de sûreté. La peine de mort est la plus sur des prisons. Ah ! Ici, vous frissonnez encore, malgré vous-mêmes. Quoi, le tombeau utilisé comme maison de justice ! La mort devient un employé de l'État ! La mort devient un fonctionnaire auquel on donne à garder les hommes dangereux ! Voici un homme qui a fait le mal et qui peut le faire encore, vous pourriez essayer de guérir cette âme et d'en déraciner le crime ; mais non, vous n'allez pas si loin, bah ! Améliorer un homme, le corriger, l'assainir, le sauver physiquement et moralement, théories ! Visions ! Rêveries de poètes ! Vous dites : il faut enfermer cet homme, la meilleure manière de l'enfermer c'est de le tuer, et vous le tuez !
Monstrueux.
À législation barbare, raisonnement sauvage. Criminalistes, débattez-vous sous vos propres énormités.
J'ai examiné la peine de mort par ses deux côtés, action directe, action indirecte. Qu'en reste-t-il ? Rien. Rien qu'une chose horrible et inutile, rien qu'une voie de fait sanglante qui s'appelle crime quand c'est l'individu qui l'accomplit, et qui s'appelle justice (ô douleurs !) Quand c'est la société qui la commet. Sachez ceci, qui que vous soyez, législateurs ou juges, aux yeux de Dieu, aux yeux de la conscience, ce qui est le crime pour l'individu et le crime pour la société.
Encore une réflexion, remarquez l'attitude des criminalistes devant cette question de la peine de mort. Ceci vous dira le fond de leur pensée ; ceci vous dira où en est la pénalité capitale dans le for intérieur de ceux qui la défendent. Voyez d'abord les vieux, les gothiques, les féodaux. Le supplice leur plaît et les fait rayonner. Farinace salue l'échafaud comme le prêtre salue l'autel : c'est en effet son hôtel à lui. Des criminalistes anciens sont fiers de la peine de mort ; les criminalistes modernes en sont honteux, et n'en parlent qu'en s'essuyant le front.
C'est qu'en vérité, ces derniers sont de notre avis ; c'est que le rayon de l'équité naturelle, quand il traverse tout un siècle, n'épargne aucune âme et les pénètre toutes. Dieu le veut. Au fond ces hommes pensent comme nous de l'échafaud, il est dès aujourd'hui abattu dans leur conscience ; demain il ne sera dans la place publique.
Ils nous disent seulement : - attendez un peu !
Attendre ? Pourquoi attendre ? On coupe des têtes pendant ce temps-là.
Lorsque l'Assemblée nationale faisait la constitution, la question s'est présentée. Je lui ai crié : c'est l'heure, hâtez-vous ! Faites de grands pas ! Faites de grandes choses ! Il y a de certains moments où il faut donner des coups de colliers en civilisations, précipiter le progrès, entraîner le genre humain ! Ceci est une occasion, remerciez Dieu, et profitez-en ! Une constitution nouvelle, en France, au XIXe siècle, doit jeter autour d'elle, au moment où elle apparaît, une clarté subite ! Elle doit être l'adoption des classes souffrantes et malheureuses ! Elle doit saisir l'intelligence des nations par la consécration éclatante du bien, du juste et du vrai. La civilisation se compose de ses acceptions successives et solennelles de la vérité. Et bien ! Consacré aujourd'hui, tout de suite, sans plus attendre, ce grand fait : l'inviolabilité de la vie humaine ! Abolissez la peine de mort.
L'assemblée a écouté, mais n'a pas entendu.
Savez-vous ce qui est triste ? C'est que c'est sur le peuple que pèse la peine de mort. Vous y avez été obligés, dites-vous. Il y avait dans un plateau de la balance ignorance et la misère, il fallait faire contrepoids dans l'autre plateau, vous y avez mis la peine de mort. Et bien ! Ôtez la peine de mort, vous voilà forcés, forcés, entendez-vous ? Dotez aussi l'ignorance et la misère. Vous êtes condamnés à toutes ces améliorations à la fois. Vous parlez souvent de nécessité, je mets la nécessité du côté du progrès, en vous contraignant d'y recourir, par un peu de danger aux besoins.
Ah ! Vous n'avez plus la peine de mort pour vous protéger. Ah ! Vous avez la devant vous, face à face, l'ignorance et la misère, ces pourvoyeuses de l'échafaud, et vous n'avez plus l'échafaud ! Qu'allez-vous faire ? Pardieu combattre ! Détruire l'ignorance, détruire la misère ! C'est ce que je veux.
Oui je veux vous précipiter dans le progrès ! Je veux brûler vos vaisseaux pour que vous ne puissiez revenir lâchement en arrière ! Législateurs, économistes, publicistes, criminalistes, je veux vous pousser par les épaules dans les nouveautés fécondées humaines comme on jette brusquement à l'eau l'enfant auquel on veut apprendre à nager. Et vous voilà en pleine humanité, j'en suis fâché, nagez, tirez-vous de là !
Tenez, tant que nous sommes, renonçons à la terreur. Depuis 6000 ans les sociétés humaines vivent sur la haine, c'est assez ! Essayons l'amour ! ». (3)

Il aura fallu attendre le 17 septembre 1981 et le discours de Robert Badinter :
« Demain vous voterez l'abolition de la peine de mort »
où il revient sur l'exemplarité :
« Ce sont les autres, ceux que j'évoquais précédemment qui peuplent ces annales. En fait, ceux qui croient à la valeur dissuasive de la peine de mort méconnaissent la vérité humaine. La passion criminelle n'est pas plus arrêtée par la peur de la mort que d'autres passions ne le sont qui, celles-là, sont nobles. Et si la peur de la mort arrêtait les hommes, vous n'auriez ni grands soldats, ni grands sportifs. Nous les admirons, mais ils n'hésitent pas devant la mort. D'autres, emportés par d'autres passions, n'hésitent pas non plus. C'est seulement pour la peine de mort qu'on invente l'idée que la peur de la mort retient l'homme dans ses passions extrêmes. Ce n'est pas exact. Et, puisqu'on vient de prononcer le nom de deux condamnés à mort qui ont été exécutés, je vous dirai pourquoi, plus qu'aucun autre, je puis affirmer qu'il n'y a pas dans la peine de mort de valeur dissuasive : sachez bien que, dans la foule qui, autour du palais de justice de Troyes, criait au passage de Buffet et de Bontems : "A mort Buffet ! A mort Bontems !" se trouvait un jeune homme qui s'appelait Patrick Henry. Croyez-moi, à ma stupéfaction, quand je l'ai appris, j'ai compris ce que pouvait signifier, ce jour-là, la valeur dissuasive de la peine de mort ! » (Applaudissements sur les bancs des socialistes et des communistes.)
Il faudrait lire l'intégralité du discours.
L'exemple de l'amiante véritable crime industriel qui a fait 100 000 morts alors qu'on connaissait le danger depuis 1906 ! Doit-on tuer tous ceux qui ont laissé faire ?  
Combien de chefs d'État devraient subir ce châtiment pour avoir fait tuer inutilement, des jeunes dans des guerres coloniales. En Algérie 30 000 jeunes français tués, 600 000 à un million d'Algériens. Et puis tous les viols commis par l'armée française et restés impunis. Et je peux en témoigner. Ça en ferait des peines de mort ! Un dernier mot tous ceux qui sont pour la peine de mort devraient être mis en situation, il comprendraient ce que veut dire tuer quelqu'un. Là aussi je peux en témoigner. C'était justement pendant la guerre d'Algérie. J'avais deux êtres humains supposés être des "fellagas" dans la lunette de mon fusil et je n'ai pas tiré. Et aujourd'hui j'en suis fier.
Michel Cialdella






1) Robespierre. Écrits. Présenté par Claude Mazauric. Éditions sociales. 1989.
2) Robespierre, reviens ! Alexis Corbière, et Laurent Maffaïs. Préface de Claude Mazauric- Éditions Bruno Leprince 2012.
3) discours sur la peine de mort. Septembre 1848. Victor Hugo le droit et la loi et autre textes citoyens. Éditions 10/18. Février 2002.
4) « Demain vous voterez l'abolition de la peine de mort » discours de Robert Badinter à l'assemblée le 17 septembre 1981.
http://www.weblettres.net/blogs/uploads/r/Rispal/10508.pdf


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