Emmanuel Macron vu par
Anicet le Pors
Le 8 Mai. 2017
Anicet le Pors est l’ancien ministre
communiste de la Fonction publique nommé par François Mitterrand en 1981.
On notera que c’est un des derniers représentants d’une espèce en voie de
disparition : un ministre ayant accordé de nouveaux droits sociaux…
Ce billet termine notre série “refuge”. Merci à tous pour la qualité des
échanges !
Emmanuel Macron : cet homme est dangereux,
par Anicet le Pors
Source : Anicet le Pors,
04-05-2017
Emmanuel Macron sera élu le 7 mai 2017 Président de la République. C’est le
produit politique fabriqué par les efforts combinés de l’oligarchie financière,
du MEDEF, des gouvernements Hollande, de la technostructure administrative, des
opportunistes de tous bords, des stars de l’intelligentsia toujours avides de
notoriété, de la totalité des médias ; bref, de tous ceux ayant joué un
rôle dans la situation désastreuse actuelle et favorisé ou instrumentalisé la
montée du Front national. Et cela dans le contexte d’une décomposition sociale
profonde, d’une communauté des citoyennes et des citoyens désorientés, en perte
de repères.
Son émergence est récente et il n’a cessé de cultiver l’ambiguïté pour se
positionner électoralement au centre. Toutefois, on peut déceler à partir de
plusieurs déclarations disparates une certaine cohérence idéologique, assez
différente de celle qu’il veut accréditer ou qu’on lui prête. Cinq lignes de
force peuvent être dégagées.
1.
Un fervent de
l’élitisme, hostile au monde du travail
Les analyses sociodémographiques publiées à l’issue du
premier tour ont montré que Emmanuel Macron a été essentiellement soutenu par
les personnes qui s’en sortent le mieux dans la crise, les plus riches, les
plus diplômés, les partisans le l’Union européenne, laissant de côté la France
qui souffre, accentuant ainsi les inégalités. Dans le même temps, il ne
dissimule pas sa volonté de réduire le partenariat au sein de l’UNEDIC, plus
généralement de préférer le soi-disant dialogue social à la concertation
contradictoire. Il est un farouche partisan de la flexi-sécurité, cause de
précarité et de pauvreté de masse. Il opérera une reprise en main étatique des
crédits de la formation professionnelle. Il conteste la vocation des syndicats
à s’exprimer au niveau national pour les cantonner autant que possible au
niveau de l’entreprise dans l’esprit de la loi El Khomri qu’il veut prolonger
par une réforme du code de travail adopté par ordonnances, c’est-à-dire sans
l’aval du Parlement. L’avantage que l’on peut reconnaître à ce candidat c’est
qu’il éclaire les contradictions de classe qui sont à l’œuvre.
2.
La mise au pas des
collectivités territoriales
Après Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron cherche le moyen de contourner le
principe de libre administration des collectivités territoriales posé par
l’article 72 de la constitution. Un système de conventions avec les régions
pourrait y pourvoir qui conditionnerait le montant des dotations de l’État à la
docilité des collectivités. L’État serait également appelé à compenser la
suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des ménages ce qui rendrait ce
financement discrétionnaire. Le processus de métropolisation serait poursuivi
et développé aboutissant à la suppression d’un quart des départements. Les
collectivités territoriales seraient ainsi mises sous pression avec la
diminution de 2 milliards d’euros par an des dépenses de fonctionnement, la
réduction de 75 000 emplois de fonctionnaires territoriaux, un retour strict
imposé aux 35 heures hebdomadaires. La maîtrise de cette nouvelle politique
coercitive serait assurée par une conférence annuelle des territoires. La
remise en cause statutaire de la fonction publique territoriale reste la cible
privilégiée.
3.
L’abaissement du
Parlement
Il s’agit d’abord d’une réduction drastique des effectifs sensée dégager
une économie annuelle de 130 millions, de l’ordre d’un tiers pour aboutir
à 385 députés et 282 sénateurs. Le Parlement réduirait considérablement son
activité législative qui, hors période budgétaire, serait limitée à trois mois.
IL y aurait donc moins de lois nouvelles, ce qui laisserait davantage de champ
à la réglementation par décrets. L’activité du Parlement serait aussi
réorientée vers des missions de contrôle et d’évaluation. La haute
administration aurait de ce fait une compétence d’expertise plus étendue et un
pouvoir hiérarchique renforcé sous l’autorité de l’exécutif. Emmanuel Macron a
prévu de légiférer rapidement par voie d’ordonnances dès le début de son
quinquennat et il conservera le mécanisme de l’article 49-3. Il est clair que
la démarche tourne le dos au régime parlementaire.
4.
Un gouvernement aux
ordres
Le Gouvernement serait lui aussi resserré à 15 ministres, et fortement
instrumentalisé par le Président de la République qui continuerait à présider
les réunions du Conseil des ministres. Celles-ci seraient plus fréquentes pour
assurer une discipline sans faille des ministres. Contrairement aux
dispositions actuelles de la constitution, ce n’est toujours pas le Gouvernement
qui définirait et conduirait la politique de la nation mais le chef de l’État.
Les ministres seraient évalués chaque année. Pour autant, leurs pouvoirs et
surtout leurs cabinets exerceraient une autorité renforcée sur les
administrations placées sous leur tutelle. Le candidat Macron jugeant le statut
général des fonctionnaires « inapproprié », outre une réduction des
effectifs prévue de 120 000 emplois, accentuera la dénaturation du statut par
une extension du spoil syste , le recrutement accru de contractuels
de droit privé sur la base de contrats négociés de gré à gré. Il s’agirait donc
d’une mise en cause des principes d’égalité, d’indépendance et de
responsabilité et d’une réaffirmation sévère du pouvoir hiérarchique, de
l’obligation de réserve, du devoir d’obéissance.
5.
Un exécutif opaque et
autoritaire
Emmanuel Macron ne remet pas en cause les institutions de la V° République,
notamment l’élection du Président de la République au suffrage universel, ni
l’usage plébiscitaire du référendum, ni de façon significative le mode de
scrutin. Les conditions d’une VI° République ne sont pas réunies : pas de
large consensus de récusation des institutions actuelles, pas de consensus sur
les caractéristiques d’une nouvelle constitution, pas d’évènement fondateur comparable
à ceux qui ont présidé à l’avènement des Républiques antérieures et de
l’actuelle. Si l’ambiguïté sur ce que pourrait être la fonction présidentielle
du nouveau président demeure grande, on peut déduire de ses quelques
déclarations sur le sujet et de ses postures que son exercice de la fonction
présidentielle, qui a pu être qualifiée de « jupitérienne », serait à
la fois opaque et autoritaire, autocratique. La « dérive
bonapartiste » qui a caractérisé le quinquennat de Nicolas Sarkozy risque
d’être ici renforcée avec plus de méthode et, sans doute une traduction
institutionnelle qui se durcira face aux conflits sociaux que la politique
présidentielle ne manquera pas de provoquer. Jusqu’à quelles limites et à
quelle échéance ? C’est la principale incertitude sur le danger encouru.
S’il est clair qu’on ne saurait voter pour la politique de filiation
autoritaire, xénophobe et nationaliste de Marine Le Pen, le danger de la
politique portée par Emmanuel Macron constitue une autre redoutable menace pour
le progrès social et la démocratie.
Dimanche 7 mai 2017 je voterai Blanc.
Source : Anicet le Pors,
04-05-2017
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