Pour Thomas, directeur d’établissement, ce système d’œillères sur les
dysfonctionnements majeurs que rencontrent les EHPAD
est« intolérable ».
Il témoigne :
La ministre a essayé de sortir ses vieilles recettes consistant à opposer
les catégories de personnel pour mieux masquer la réalité. Les directeurs
contre les soignants, les établissements contre les aidants, les médecins
contre les paramédicaux etc. etc. Diviser pour mieux régner. Faire diversion et désigner des boucs
émissaires pour mieux noyer le débat.
Aujourd’hui, en tant que directeur, je suis venu dire à la ministre
que je suis fier d’être un mauvais professionnel, je suis fier de
lui dire avec de plus en plus de mes collègues que je ne veux plus
mettre mes capacités managériales au service de ses objectifs d’austérité.
Je suis fier de lui dire que je ne veux plus être le lampiste
qu’on fait sauter quand on prend la peine de se pencher sur les Ehpad et qu’on
découvre, oh stupeur !, qu’ils dysfonctionnent par un manque criant de
moyens.
Je suis fier de dire aujourd’hui, même si cela peut déplaire
à madame la ministre ou ses sbires à la tête de l’ARS, que mon métier n’est pas
d’être un gestionnaire de coûts, un « cost killer » selon la
terminologie managériale.
Je suis fier de dire que je ne veux pas être le petit caporal
d’un pouvoir politique
dont les desseins sont la destruction du service public et pas le
service rendu à la population.
Ce qui fait au contraire mon honneur professionnel, c’est de dire
« haut et fort » que je suis le témoin des politiques qui nous conduisent à la catastrophe
car elles vont à l’encontre de l’intérêt général de la population.
La vérité, c’est qu’on fait bosser des gens dans des conditions de merde là
où on n’a même pas 0,6 personnels / résident et qu’il nous faudrait
impérativement 1 soignant pour 1 résident.. Ça fait des années qu’on le sait et
des années qu’on ne fait rien.
on fait bosser des gens dans des conditions de merde
La vérité, c’est que la réforme de la tarification issue de la loi ASV de décembre
2015 a fait perdre en moyenne 40 000 € à chaque Ehpad donc concrètement un
à deux emplois qu’on supprime. Sans compter les contrats aidés qui
disparaissent alors qu’ils devraient être embauchés en contrat pérenne. `
La vérité, c’est qu’on n’a plus le temps de se réunir en équipe, de partir en
formation, de se réserver tous ces temps qui sont pourtant si essentiels pour
garantir la qualité des prises en charge.
La vérité, c’est que des investissements essentiels ne sont plus réalisés faute de
moyens et qu’on ouvre aussi grand les portes au secteur lucratif qui veut faire
main basse sur les revenus des personnes âgées qui restent solvables.
La vérité, c’est que pour raboter les prix, on en vient à supprimer les
animations, les sorties, les soins esthétiques, tout ce qui fait le supplément
d’âme indispensable pour les personnes qui sont pourtant de plus en plus
dépendantes.
La vérité, c’est aussi que rien n’est prévu pour faire face au choc démographique
d’une population de personnes dépendantes qui augmentent de 20 000 par an
en France.
La vérité, c’est qu’on nous ment quand on instrumentalise le maintien à domicile
pour faire soi-disant face au choc démographique en faisant mine de respecter
le souhait des personnes vieillissantes.
La vérité, c’est qu’on a mis 50 ans pour mettre fin aux hospices mouroirs et que
les mesures mortifères imposées par nos gouvernants ne mettront pas 10 ans
avant de les recréer.
Dans ces conditions, je suis plutôt fier de décevoir madame la ministre
mais je veux aussi lui dire toute la colère que nous avons aujourd’hui.
Car pendant qu’on perd notre temps à trouver des bouc-émissaires, on fait
diversion, on nous empêche de parler des vraies difficultés, on nous prive en
quelque sorte de débat public et de démocratie.
Nous sommes en colère mais nous sommes aussi déterminés. Car cette
fois-ci, les tours de passe-passe ne suffiront plus à éteindre le feu social
qui couve depuis trop longtemps.
Aujourd’hui, nous avons atteint un point de non-retour. Nous sommes dos au
mur, il n’y a plus de petites poires pour la soif, plus de petits budgets
annexes à grignoter, de patrimoine à vendre ou de meilleure gestion à mettre en
œuvre. Rien de tout cela, nous sommes à l’os. Et face à un gouvernement ATTILA qui veut réduire en cendres tous
nos conquis sociaux, il n’y a plus 36 solutions, il faut donner du
volume au mouvement qui s’est enclenché aujourd’hui. Face à un tel
gouvernement, seule une négociation sous la pression du rapport de force, peut
changer radicalement la donne.
Faute de quoi, la ministre se bornera à quelques annonces et on sera
repartis pour des années de souffrance et de régression.
Aujourd’hui, j’ai plus que jamais la conviction que nous pouvons gagner.
La ministre a dû la semaine dernière commencer à lâcher du lest, sentant
bien que nous serions au rendez-vous.
Il faut continuer ainsi, faire en sorte que chacun trouve sa place dans la
lutte décisive qui s’engage, quelle que soit sa position professionnelle, son
métier ou son parcours. Face aux manipulations et aux logiques de division de
nos gouvernants c’est de plus de solidarité, de cohésion et de rassemblement
dont nous avons. Car c’est ni plus, ni moins que notre modèle de société qui est
en jeu, celle que nous voulons pour nos aînées mais aussi pour nous mêmes.
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