Lu dans l'Humanité du
mardi 27 juin 2017.
La démocratie euthanasiée.
Par Guillaume Foutrier, doctorant et professeur
d'histoire-géographie.
« Vague Macron » pour La Croix, « Macron en
marche » pour le Figaro « l'effet Macron » pour les Échos… les quotidiens ont
rivalisé de titres ronflants pour qualifier les résultats du premier tour des
législatives, mais aucun, hormis l'humanité, n'a fait sa une sur l'événement
bien plus considérable dans notre histoire politique : le taux d'abstention de
51,29 % n'est pas seulement le plus élevé de la Ve République ; il bat en
réalité-et de très loin tous les records d'abstention aux élections
législatives depuis l'instauration du suffrage universel en 1848 !
Un tel chiffre n'est
pas seulement l'énième illustration du malaise politique des dernières
décennies. Il ne s'agit pas ici d'élections locales ou européennes, dont les
taux de participation sont traditionnellement faibles, mais de ce qui fait le
cœur des régimes démocratiques apparus au XIXe siècle : l'élection du
Parlement, par laquelle le peuple souverain élit ses représentants pour voter
les lois. On ne manquera pas, dans les prochains jours, de développer le niveau
d'abstention et de gloser sur la « crise » de notre démocratie. Pourtant, ce
qui se dessine aujourd'hui, ce n'est pas simplement une « crise », telle que la
France en a connu à la fin du XIXe siècle et dans les années 1930 ; c'est plus
profondément une lente euthanasie de la démocratie et l'épuisement d'un cycle
politique ouvert il y a près de 50 ans. Le Parlement, certes inchangé dans sa
forme, n'est plus l'objet d'un investissement collectif, celui des citoyens qui
sont censés lui donnés sa légitimité : ainsi meurent les institutions. Ce sont
alors la démocratie parlementaire et, avec elle, la souveraineté du peuple qui
disparaissent insidieusement sous nos yeux.
Beaucoup j'ai Miron,
comme d'habitude, sur l'apathie des Français et leur manque de « sens civique ».
Mais les abstentionnistes montrent en faite bien plus de raison qu'on n'en dit
: pourquoi en effet aller voter pour élire un parlement dont on a compris
désormais, sans le moindre doute possible, qu'il n'était qu'une caisse
d'enregistrement des décisions du pouvoir exécutif, des cabinets ministériels
et des directeurs d'administration ? Les Français ne font que tirer intuitivement
les leçons d'un régime présidentialisé. Ils comprennent aussi que cette
élection sans enjeu ne changera rien à leurs conditions de vie. Il est évident,
au regard de la géographie des votes (des taux d'abstention de 60 à 70 % dans
les quartiers populaires), que ce retrait du peuple de la politique est d'abord
un retrait des couches populaires. Chemin faisant, sans bruit et sans coup
férir, notre régime électoral et donc aussi devenu censitaire.
En transformant les
législatives en une pâle validation du résultat des élections présidentielles,
la réforme du quinquennat (en 2000) et l'inversion du calendrier électoral (en
2001) ont contribué directement à cette explosion du taux d'abstention et amplifier
les logiques présidentielles liste de la Ve République : l'abaissement du
pouvoir législatif et la boursouflure toujours plus monstrueuse du pouvoir
exécutif.
Le scandale des
assistants parlementaires, qui nourrit aujourd'hui les envolées présidentielles
sur la « moralisation de la vie politique », au culte l'autre vrai problème :
les moyens du Parlement sont faibles au regard de ce dont bénéficient les
ministères, sur l'immense force de travail et d'expertise des administrations
centrales. Aussi le souhait du nouveau président et de réduire d'un tiers le
nombre des parlementaires devrait-t-il accentuer, sous l'argument fallacieux de
la « modernisation politique », l'effacement complet de la démocratie
parlementaire au profit d'une « démocratie exécutive » (1) qui n'a cessé de se
renforcer depuis les guerres du XXe siècle et la constitution de 1958.
Plus que jamais, le
suffrage universel tend à devenir un alibi et notre Parlement une institution
croupion, le résidu d'un régime qui n'a de démocratique que le nom et n'a comme
réalité que la loi de l'argent, le triomphe des riches et l'expertise des
technocrates. Faut-il que 60 ans de présidentialisme est à ce point intoxiqué
les esprits et perverti la culture démocratique pour qu'un tel crime politique
ne soit pas dénoncé sans relâche ?
(1) Nicolas Roussellier,
la force de gouverner. Le pouvoir exécutif en France, XIXe-XXIe siècle.
Gallimard 2015